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L’incontournable place Saint-Marc, haut lieu des attractions touristiques vénitiennes, subit désormais des inondations 60 fois par an… contre 4 en 1900. Les récentes tempêtes ont couvert d’eau 70 % de la ville, le niveau des eaux ayant grimpé de 156 centimètres.
Si aucune intervention n’est menée, ce type d’inondations pourrait d’ici 50 ans se produire à chaque marée haute ou presque, indique une recherche en cours, conduite par nos collègues du Centre national de recherche de Venise. Certains experts considèrent même que la cité des Doges aura disparu sous les eaux d’ici à 2100.
Chaussées, passerelles et digues
La multiplication des inondations à Venise s’explique par les effets combinés de l’affaissement du sol, qui fait plonger la ville, et du changement climatique, qui provoque une montée globale du niveau des mers. Mais la solution pour laquelle a opté la ville, soit un plan inachevé de 78 digues flottantes baptisé Mose, risque d’endommager la lagune qui entoure la Sérénissime et pourrait bien n’avoir aucun effet à long terme sur sa préservation.
Les Vénitiens gèrent la lagune par des méthodes d’ingénierie depuis le XIIᵉ siècle. La ville est construite sur un ensemble de 118 petites îles, drainées grâce à un réseau de canaux, et situées dans une lagune littorale entre la côte italienne et une digue formée de blocs de pierre, connue sous le nom de murazzi. Parmi les interventions menées, six importants cours d’eau ont été détournés de la lagune pour éviter que les voies navigables ne se remplissent de limon (dépôt argileux). Les murazzi ont également été reconstruits et étendus, les entrées entre les blocs passant de neuf à trois.
Les Vénitiens ont aussi combattu les inondations en surélevant chaussées et passerelles et en construisant des digues ; mais cette stratégie endommage désormais l’architecture de la ville. En 2003, le projet Mose a été lancé dans l’idée de protéger Venise contre l’aggravation des inondations. La communauté scientifique vénitienne se montre aujourd’hui divisée quant à l’impact de ce projet sur la lagune, dans un contexte où les inondations pourraient atteindre un niveau inimaginable.
L’écosystème de la lagune en danger
Les registres tenus à Venise montrent que le niveau de la mer a augmenté au total de 26 centimètres depuis 1870. Sur ces 26 centimètres, environ 12 sont liés au fait que les îles vénitiennes s’enfoncent ; cela est dû au retrait de l’eau de l’aquifère, cette formation géologique située sous la lagune vénitienne. Des mesures plus approfondies soulignent que le niveau de la mer augmente encore de 2,4 mm par an.
Par conséquent, si le niveau de la mer augmente de 50 cm, les digues flottantes de Mose devront fermer presque quotidiennement pour protéger la ville des inondations. Or une partie des eaux non traitées de Venise s’écoule directement dans la lagune via les canaux, puis s’évacue dans la mer. Fermer quotidiennement les entrées pourrait ainsi aggraver la pollution microbiologique et l’eutrophisation dans la lagune – c’est-à-dire son enrichissement en sels nutritifs provenant des eaux usées, de l’agriculture ou de l’élevage. Dans ces conditions, l’eau devient si riche en nutriments qu’elle engendre une croissance excessive de plantes et d’algues, au détriment des autres espèces.
Cela s’ajouterait à d’autres dommages que subit déjà l’écosystème de la lagune, provoqués par la perte des marais d’eau salée et des zones marécageuses – et la réquisition de marécages dans d’autres zones pour la pisciculture. Entre temps, l’érosion des fonds marins liée au dragage et à la pêche illégale de palourdes ont creusé de 50 cm depuis 1970 la profondeur du centre de la lagune. Il existe de réelles inquiétudes parmi les scientifiques sur le fait que des fermetures et restrictions autour de la lagune menacent un peu plus son équilibre.
Venise sous les eaux
Le plan Mose pose une autre question : il ne répond en rien à la problématique du niveau de montée de la mer, dont le sel et l’humidité attaquent les bâtiments de la ville, malgré les importantes rénovations de fondations et de canaux. Le conservateur de la cathédrale Saint Marc a ainsi montré que l’eau salée avait grimpé de plusieurs mètres le long des murs fondateurs de l’église.
Différentes alternatives au projet Mose ont été proposées, y compris pomper l’eau dans le sol afin de redresser la ville ; mais aucune n’a reçu l’adhésion unanime de la communauté scientifique. Il y a toutefois consensus sur le fait que les marais d’eau salée et les vasières qui ont un jour entouré Venise devraient regagner leur étendue initiale pour en préserver l’écosystème.
Mais cela ne résoudra certainement pas le problème du niveau de la mer qui augmente. S’il devient incontrôlable, l’unique solution sera de couper de manière permanente la lagune de la mer Adriatique. Une solution radicale envisageable seulement si les problèmes de pollution, d’eaux usées et d’activités portuaires sont résolus. Nous aurons alors une lagune d’eau douce, différente de celle que nous connaissons, mais à même de sauver la Sérénissime.
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Carl Amos, Emeritus Professor, National Oceanography Centre, University of Southampton
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons.